Les rues antiques étaient-elles allumées la nuit?

Publié le par Pascal Geoffret

Les rues antiques étaient-elles allumées la nuit ?

 

 

A l’époque romaine avec le développement de l’avenue à portiques, la sociabilité ne connaît plus de coupure. Le climat, quel qu’il soit, n’est plus un frein.

Mais, qu’en est-il de la nuit ? La sociabilité cesse- t-elle ?

 

L’éclairage des rues en Grèce continentale et à Rome.

 

 Les rues de la Grèce à l’époque classique ne sont pas allumées. Aucun texte ne le signale expressément mais la nuit est régulièrement associée à l’absence de lumière ou à sa rareté, ainsi que nous le montre une anecdote concernant Périclès :

 

« Un jeune homme débauché et sans éducation l’insulta et l’accabla d’outrages pendant toute une journée, sur la place publique : Périclès n’en continua pas moins d’expédier des affaires urgentes, sans répondre à ses injures. Quand le soir fut venu, il s’en alla tranquillement chez lui, toujours suivi des mêmes cris et des mêmes insultes ; puis, arrivé à la porte de sa maison, il ordonna à un de ses gens de prendre un flambeau, pour éclairer le jeune homme, et de le reconduire jusqu’à sa demeure ».

 

C’est à cause de l’absence de luminosité que les enfants sont accompagnées par un esclave, le pédagogue, au matin, torche à la main, pour se rendre à l’école.

 

 

Cette absence de luminosité apparaît aussi dans une remarque de Xénophon lorsque dans un banquet, à Athènes, apparaît un certains Autolycos, à la très grande beauté : « comme une lumière apparaissant dans la nuit attire les regards de tous ».

 

Il en va de même à Sparte d’après une note du même Xénophon qui indique qu’allumer les rues de nuit est même interdit.

Plutarque en parle dans un de ses Apophtegmes :

 

« Les Laconiens, après avoir bu modérément au cours de leur repas pris en commun, se retirèrent sans lumières ; car il ne leur est pas permis de s’éclairer ni pour rentrer chez eux, ni pour aucun autre trajet, afin qu’ils s’habituent à marcher hardiment et sans peur dans les ténèbres de la nuit ».

 

Par ailleurs, Enée le Tacticien, au milieu du IV è siècle av. J.-C, préconise qu’en cas d’attaque de nuit, de peur d’attirer l’attention : :

 

« On interdira de prendre des lanternes pour aller se coucher, ni aucun autre moyen d’éclairage nocturne ».

 

Un passage de l’hymne de Callimaque, Hecale, évoque lui aussi ce thème.

C’est l’aurore et les rues  vont s’allumer peu à peu et laisser la place aux honnêtes gens :

« Mais ce ne fut pas pour longtemps ; car bien vite survint le voisin, poudré de givre. « Allons, les mains du filou ne sont plus en chasse ; déjà la lampe du matin s’éclaire ».

 

-A Rome.

 

A Rome, les rues ne sont également pas éclairées la nuit. Juvénal le mentionne alors qu’il croise un de ces ivrognes qui traîne dans les rues de l’Urbs :

 

« Malgré l’effronterie de sa jeunesse qu’échauffe encore le vin, il ne se frotte pas au passant que lui conseillent d’éviter un manteau écarlate, une nombreuse escorte, quantité de flambeaux et une lampe d’airain. Moi qui n’ai d’ordinaire pour me reconduire à la maison que la lune, ou la lueur chétive d’une chandelle dont je règle avec économie la mèche, je ne lui fais pas peur ».

Profitant du manque de lumière, Néron lui-même :

« attrapant un bonnet ou une casquette, il pénétrait dans les gargotes et courait les rues en faisant des gamineries qui n’étaient pas sans danger, car il avait l’habitude de frapper ceux qui revenaient d’un repas, de les blesser et de les jeter à l’égout s’ils résistaient ».

 

Un passage du Digeste, rédigé sous Justinien au début du VI è siècle, évoque l’importance d’avoir une lampe, la nuit à Rome. En effet, un boutiquier avait posé une lampe sur une pierre, dans la rue, de nuit. Or, cette lampe fut volée par un passant. Le boutiquier, le poursuivant, lui réclama la lampe, et retint le fuyard. Celui-là commença à le frapper avec le fouet qu’il tenait à la main et au bout duquel était un fer pointu, pour qu’il le laisse aller. Cela aboutit à une rixe grave : le boutiquier creva un œil à celui qui avait pris la lampe.

 

L’éclairage des rues dans les cités d’Orient.

 

Dans quelques rues, l’éclairage public est attesté. Il permettait une sociabilité de jour comme de nuit. Il n’y a pas de coupure. C’est une véritable révolution sociale qui modifie les rapports entre les habitants. Ni la nuit, ni un climat trop rude ne viennent couper cette interaction sociale. Une inscription montre l’existence d’un éclairage public sur l’Arkadiane à Ephèse. A Constantinople, au V è siècle, Cyrus aurait prescrit aux ergasteria, locaux artisanaux, de rester éclairés le soir et la nuit.

 

Libanios mentionne l’éclairage de nuit à Antioche qu’il décrit comme magnifique et compare à la λυχνοκαῒα égyptienne :

 

« Le flambeau du soleil est remplacé par d’autres lumières surpassant l’illumination égyptienne, de sorte que la nuit chez nous diffère du jour seulement par la nature de la lumière visible ».

La λυχνοκαῒα égyptienne était une cérémonie nocturne en l’honneur de Neith qui avait lieu le 13 Epiphi à Saïs. Durant cette fête on allumait des lampes.

A la fin du IV è siècle, l'éclairage nocturne d'Antioche qui a fait la grandeur de la cité a été encore amélioré par le consulaire de Syrie Tisaménos. La politique urbaine de celui-ci à l'égard des boutiquiers a par ailleurs été vivement critiquée par le rhéteur sophiste :

 

« [Tisamène] ordonne que ces mêmes personnes, celles qui sont dans les boutiques fournissent trois feux pendant la nuit. « Mais avec quoi achèterai-je tant d'huile […] ? », s'écrient-ils […]. Cependant, que signifie tant de lumière dans une ville endormie ? Apparemment ce n'est pas pour ceux qui dorment, et les gardiens de la ville n'en ont que faire non plus… ».

 

A la même époque, Aristénète écrit dans l’une de ses lettres les retrouvailles entre deux amoureux :

 « Hier, dans la ruelle (ἐν τῷ στενωπώ), je sifflotais comme d’habitude, pour avertir Doris. Elle se pencha un court instant où elle se montra comme un astre étincelant.. (ὡς λαμπρὸν ἀνέτειλεν ἄστρον) ».

 

Il est difficile de situer avec précision le lieu de la scène pour un auteur, contemporain de Libanios, né à Nicée et décédé à Nicomédie et qui vécut à Antioche. Mais, il montre que les voies les plus petites n’étaient pas, elles, allumées.

 

Ammien Marcellin fustige, lui, le comportement de César Gallus (351-354) la nuit dans les rues de la ville d’Antioche ; il interroge les gens la nuit sur ceux qu’ils pensent du prince : « Voilà ce qu’il avait à faire dans une ville où la clarté des lumières nocturnes égale l’éclat du jour »

(et haec confidenter agebat in urbe, ubi pernoctantium luminem claritudo dierum solet imitari fulmgorem).

 

Que sait-on de l’éclairage urbain à Alexandrie l’une des principales métropoles antiques ?

Son absence, à l’époque grecque, est indiquée par une remarque de Polybe à propos de la révolte de la population contre Agathoclès, à l’époque hellénistique :

« Alors l’indignation populaire ne se manifesta plus par des conversations privées ou des conciliabules : les uns, de nuit, couvraient de graffiti n’importe quel endroit de la ville (ἀλλʹ οἱ μὲν τὰς νύκτας εἰς πάντα τόπον ἐπέγραφον) ; les autres, en plein jour, se rassemblaient par groupes et exprimaient alors à découvert leur haine des hommes en place ».

Ils profitent de l’absence de lumière pour commettre leur méfait. Puis, un peu plus loin, la colère monte encore d’un cran et :

« Les hommes avaient déjà posé le principe d’une insurrection…... Avec la tombée de la nuit, toute la ville, dans un grand mouvement d’agitation, se remplissait d’hommes, courant en tous sens avec des flambeaux ». (Ἅμα δὲ τῷ μεταλαβεῖν τὸ τῆς νυκτὸς πᾶσα πλήρης ἧν ή πόλις θορύβου καὶ φώτων καὶ διαδρομῆς).

Cette absence est visible dans un papyrus daté de la fin du IV è siècle de notre ère, date un procès-verbal, en grec et en latin, d’une audience qui se tient devant le préfet de Thébaïde, Fl. Leontius Baroncianus. Un certain Asyncritios, fils de Philammon, a été attaqué de nuit en pleine rue. Frappé violemment, son argent a été volé. Un esclave du nom Acholios est accusé mais il nie. Comme on le voit la nuit est un moment propice aux délits. Ce document montre que les rues des métropoles n’étaient pas toutes allumées la nuit.

Nous ignorons d’où vient ce document et où se déroule cet épisode.

 

Hors d’Alexandrie, les références sont rares pour l’Égypte et concernent surtout l’allumage des lieux de culte tardifs.

 

Seuls le SPP VIII, 988 daté du V è siècle ap. J.-C., de provenance inconnue, parle de Λυχναψία τῆς πόλεως, mais dans un contexte peu clair. Il en va de même du PSI Omaggio. Cong. XX 19-3,4 un texte du nome hermopolite. Enfin, le codex P. Vindob G. 15253 mentionne l’huile pour l’éclairage public. Il est possible qu’à l’époque byzantine il existait un éclairage public nocturne mais les mentions restent encore trop peu nombreuses. Une lettre de Sévère d’Antioche, au début du VI è siècle, évoque le fait que les habitants d’Alexandrie :

« Sont convaincus que le soleil ne brille que pour eux et que les lampes ne brûlent que pour eux, et ils disent que les autres villes sont sans lampes ».

E. Breccia évoque parmi ses figurines, celles qui représentent un homme habillé d’un manteau épais, souvent avec un capuchon. Il porte dans une main une lanterne et dans l’autre une échelle. S’agit-il d’un allumeur de lampes ?

 

 

Si l’archéologie ne permet pas de répondre à la question initiale, l’étude des textes en notre possession montre qu’il faut attendre la fin de la période antique pour voir les rues principales des métropoles antiques allumées pour que ne cesse la sociabilité.

 

 


 

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